Réponse à Olivier Rozand, médecin généraliste (”Dégager du temps médical”, n°490, août 2024 p.634)

Vous avez raison, le terme "dégager du temps médical" n'est pas adéquat. Pas plus que celui de "délégation de tâches". Laissez-nous revenir sur ces points, mais aussi répondre à votre interrogation sur la qualité des prises en soin effectuées par les pharmacien·nes.

Tout d'abord, la prise en soin des cystites simples par les pharmacien·nes d'officine a fait l'objet d'une expérimentation via l'article 51 [NDLR. L’article 51 est un dispositif générique d’expérimentation issu de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 permettant de tester en vie réelle des organisations innovantes en santé], avant d'exister sous forme de protocole de coopération. Dans ce dernier cas, les médecins étaient bel et bien déléguant·es et les pharmacien·nes délégué·es. Cette possibilité se révélant quasi inapplicable en pratique, elle a été étendue dans le droit commun par décret le 17 juin 2024 [1]. Dorénavant, les pharmacien·nes étant autonomes et entièrement responsables de cet acte, il s'agit d'un élargissement des compétences pharmaceutiques (d'un point de vue légal), permettant d'améliorer l'accès aux soins des patient·es.

Comme vous le signalez à juste titre, nous manquons de médecins et la désertification médicale touche quasiment tous les territoires français, limitant drastiquement la possibilité pour les patient·es d'obtenir un rendez-vous dans des délais adaptés pour être pris·es en soin. L'impossibilité pour les patient·es de trouver une solution adéquate en pharmacie ou un rendez-vous médical les contraignent parfois à se tourner vers les services d'accueil des urgences. Déjà en 2004, les infections urinaires représentaient 2% des passages non traumatiques aux urgences, en France [2]. Tout un chacun s'accorde à dire que les pathologies bénignes telles que les infections urinaires simples n'ont pas leur place au sein des structures hospitalières, monopolisant un plateau technique de haute technicité. Par ailleurs, le coût pour la société de ces passages est 5 à 10 fois plus élevé que celui d'une prise en soin pharmaceutique ou en cabinet médical.

Avant cette nouvelle possibilité offerte par le décret, aucune solution efficace et immédiate ne pouvait être proposée aux patient·es souffrant de pollakiurie. En effet, bien que légitime, leur demande ne pouvait être solutionnée que par des conseils hygiéno-diététiques, la réorientation vers un·e médecin (traitant, téléconsultation, urgences), la vente de produits à l'efficacité discutable voire inexistante, ou encore la dispensation d'un antibiotique. Cette dernière pouvant aller de l'avance jusqu'à la vente de l'antibiotique, sans prescription et sans protocole, limitant ainsi la sécurité de la prise en charge.

Encore une fois, nous partageons votre constat sur le manque de médecins. Nous y sommes confronté·es chaque jour en officine. Mais comment pallier cette situation, si ce n'est attendre 10 ans que la démographie médicale devienne plus favorable ?

N'est-il pas regrettable de sous-utiliser les compétences de professionnel·les de santé qualifié·es, pouvant assurer une dispensation sécurisée et conforme aux recommandations ? La dispensation d'antibiotiques sur des prescriptions établies en téléconsultation ou sans consultation, remises par le secrétariat est-elle plus sécuritaire ?

Passons à votre interrogation sur la qualité des soins dispensés par des pharmacien·nes. L'élargissement des missions pharmaceutiques constitue un outil supplémentaire dans la lutte contre l'antibiorésistance, menace majeure pour la santé publique au niveau mondial et favorisée principalement par le mésusage des antibiotiques. Dans le cadre des cystites, environ un tiers des prescriptions d'antibiotiques ne sont pas conformes aux recommandations en termes de molécule ou de posologie. Aussi, moins de 10% des prescriptions sont effectuées à l'issue de la réalisation d'une bandelette urinaire (BU), pourtant seul examen paraclinique recommandé par les sociétés savantes et la Haute Autorité de Santé (HAS) [3]. Les lecteurices de Prescrire connaissent le peu d'intérêt de la BU face à une symptomatologie typique [4], cela dit, pour les pharmacien·nes qui ne sont pas des diagnosticien·nes, une BU négative entraîne automatiquement l'orientation vers une consultation médicale, ce qui nous semble approprié. Enfin, d'autres travaux montrent que la prescription pharmaceutique à l'aide de protocoles ne diminue pas la qualité des soins, mais au contraire assure un respect scrupuleux des recommandations [5, 6]. Ces protocoles sont par ailleurs établis par des médecins, validés par la communauté médicale et en accord avec les recommandations des sociétés savantes et de la HAS. La formation des pharmacien·nes est obligatoire et un préalable à leur application.

Ainsi, nous tenons à insister sur le fait que l'évolution des missions pharmaceutiques repose sur le partage de compétences entre professionnel·les de santé qualifié·es (et non une délégation de tâches). Ceci, afin de répondre aux besoins des patient·es pour accéder rapidement à des soins de qualité. Il n'est pas question de prendre la place des médecins, seulement d'augmenter l'offre de soins sur les territoires dans l'intérêt des patient·es et de la santé publique.

La Communauté de l'IP

La Communauté de l'IP (Intervention Pharmaceutique) est un groupe informel de professionnel·les de la pharmacie de différentes filières (l'officine et les étudiant·es représentant la majorité des membres). À l'origine fondée pour échanger sur la pratique de la pharmacie clinique à travers le partage d'interventions pharmaceutiques, la CIP est aussi dorénavant le lieu de nombreuses réflexions sur le monde de la pharmacie et des conditions d'exercice, notamment en officine.

Bibliographie :

  1. Angine et cystite : dispensation protocolisée d’un antibiotique sans ordonnance à l’officine”, Rev Prescrire, 44 (490) : 586-587
  2. Le Conte P, Elkharrat D, Potel G. Prise en charge des infections urinaires communautaires dans les Service d’Accueil et d’Urgence Français. Antibiotiques. 2004 Dec 1;6(4):237–9
  3. Piraux A, Hammoud R, Riou J, Lebdai S, Faure S. Assessment of the Compliance of Cystitis Management According to French Recommendations through the Analysis of Prescriptions Collected in Community Pharmacies. Antibiotics (Basel). 2022 Jul 20;11(7):976. doi:10.3390/antibiotics11070976.